Panorama numérique: l’Afrique

L’Afrique croit plus que jamais au miracle numérique

L’Afrique n’a pas encore gagné son défi énergétique. Loin s’en faut. Pourtant, le pays est en train de vivre sa propre révolution numérique. Un paradoxe. Il se pourrait même que l’avènement du numérique africain procure enfin l’électricité à tous les habitants.

Mais pour le moment, la fracture numérique sur le continent reste encore bien réelle.

L’Afrique du Sud, le Kénya, le Nigéria, le Sénégal, l’Ile Maurice, la Côte d’Ivoire et les pays du Maghreb dominent la scène numérique. Partout ailleurs, les disparités sont immenses mais, là encore, l’accès à l’énergie (et à une connexion internet) reste le facteur limitant.

Néanmoins, dans le numérique tout va plus vite. L’Afrique saisit sa chance et voit dans ce secteur un moyen de répondre à de nombreux défis : santé, éducation, énergie, démocratie, hygiène, agroalimentaire…. L’avènement du numérique en Afrique pourrait s’avérer miraculeux.

Le paradoxe du numérique africain

Amadou Mathar Ba, l’ancien très influent directeur marketing de la Banque internationale pour le commerce et l’industrie du Sénégal,  en est convaincu : le numérique peut venir en aide à tous. Dans une interview au journal Le Monde, il explique qu’ « un nombre inimaginable de business sont déjà apparus grâce au téléphone portable notamment. Une anecdote, par exemple : dans des villes comme Dakar ou Abidjan, des femmes vendeuses de beignets dans les rues vont envoyer un SMS en masse pour annoncer qu’entre 17 heures et 17 h 20, les clients pourront déguster des beignets chauds. Un tel marketing direct booste le chiffre d’affaires. »

C’est tout le paradoxe du numérique africain : des lacunes structurelles immenses mais un potentiel numérique qui l’est encore plus, au vu des challenges actuels.

Déjà, la réduction de la distorsion dans les prix des produits technologiques a changé la donne sur le continent entier. La téléphonie mobile a explosé et changé les modes de vie.

En 2015, 70 % des Africains disposaient d’un abonnement au téléphone mobile, et on estimait à 18 milliards de dollars l’apport du numérique au PIB africain. Le taux de pénétration d’internet était de 16 % (170 millions d’utilisateurs). De nombreux projets menés par Facebook et Google visent à accélérer encore le taux de couverture sur le continent, y compris avec la 5G.

Le numérique africain rime avec créativité

L’Afrique comble donc peu à peu son retard. Plusieurs projets ont été mis en place au cours des cinq dernières années pour connecter par câble de fibre optique l’Algérie, l’Afrique du Sud et plusieurs pays d’Afrique Centrale. Et les technologies numériques permettent d’aborder les défis du continent sous un angle nouveau.

Les domaines de l’éducation, de l’hygiène, de la gestion de l’eau, de l’accès des populations à l’électricité et à internet vus sous le prisme numérique sont une page blanche à écrire. Et des marchés à investir.

Les potentialités numériques dans les secteurs de l’e-santé, l’e-éducation et même l’e-démocratie rendent les politiques de développement incertaines sinon obsolètes. Doit-on construire des hôpitaux avec des centaines de lits ? La médecine à distance pourrait les rendre inutiles dans quelques dizaines d’années. Ne faudrait-il pas investir aujourd’hui dans les technologies médicales de demain ?

Pour toutes ces raisons, l’accès à l’internet haut-débit pour tous devient aujourd’hui un objectif de développement prioritaire sur l’ensemble du continent.

Les pays africains se sont jetés dans la bataille. Prenons l’exemple du Gabon. Depuis l’an 2000, le numérique est le secteur le plus dynamique du pays, à l’origine de la création de 2000 emplois directs (et plus de 20 000 emplois indirects). Aujourd’hui, avec un chiffre d’affaires de 500 millions d’euros, il pèse 5% de PIB national. Et pourrait être le premier pays africain à disposer d’un serveur racine d’internet d’ici peu.

Et les financements étrangers abondent. Au départ principalement financées par des fondations anglo-saxones, les start-ups africaines bénéficient aujourd’hui, hors du continent, d’investissements chinois, turcs ou indiens, entre autres. Le Bénin par exemple, vient de se voir octroyé un financement de 50 millions d’Euros par la Chine pour développer l’écosytème numérique national. Sur les 75 milliards de dollars d’argent public investis par le géant asiatique en Afrique entre 2001 et 2011, entre 10 et 15 % étaient consacrés au développement des télécoms et du numérique. Une manne qui rend aujourd’hui la croissance (au sens large) sur le continent africain trop dépendante de celle de son voisin asiatique. On le voit aujourd’hui.

Porte drapeau de la conquête numérique indienne, l’opérateur de télécommunications Bharti Airtel a mobilisé plus de 10 milliards de dollars pour le développement des Télécoms et est aujourd’hui présent dans 15 pays africains.

Côté français, les start-ups ont mis du temps avant de réaliser le potentiel du numérique africain. Les choses ont évolué depuis la fin des années 2000. Témoin récent de cette évolution : le déploiement fin janvier de six nouveaux « Frenchtech hubs » dont deux en Afrique : le premier à Cape Town en Afrique du Sud et le second, à Abidjan, la capitale officieuse du numérique africain. (En savoir plus sur le hub d’Abidjan et de Cape Town sur le site Lafrenchtech).

Les start-ups africaines ont tout pour réussir

 

La formation de clusters et d’incubateurs dédiés au numérique dans des pays comme la Tunisie, le Kénya et le Sénégal a permis de faire émerger rapidement des projets africains innovants : Les projets nominés aux InwiDays, le salon du numérique marocain dédié cette année aux smart cities, sont un bel exemple du foisonnement actuel :

  • Ichouf, une application mobile visant à venir en aide aux aveugles dans les administrations marocaines, via la micro- localisation (en savoir plus).
  • Flare, Un système d’éclairage et de surveillance publique, dans un but de réduction des coûts et de développement durable (en savoir plus).
  • Ecoelec, un projet de commercialisation de compteur pour suivre les consommations électriques en temps réel (en savoir plus).
  • Blassini : Une appli permettant de trouver une place dans un parking privé ou un garage pour stationner (en savoir plus).
  • SmartBus : Une solution pour connaître les horaires des bus en temps réel et bénéficier du wifi dans les transports en commun (en savoir plus).
  • Pisco : Un robot qui permet de guider le consommateur dans une grande surface et fournir les informations utiles à leur shopping (en savoir plus).

Au-delà des smart grids, les projets innovants sont légion : e-commerce, fin tech, e-santé, jeux vidéos, énergies intelligentes internet, connectivité sans fil, applications numériques, la 4G, enjeux démocratiques

 

Deux exemples : Dans le domaine de l’internet des objets, Ali Lakrakbi et Ali Elouafiq, fondateurs de la start-up Airmote, ont mis au point Imote, un porte-clé intelligent, capable de faire sonner votre smartphone quand il est éteint. Via un détecteur de mouvement, l’engin est également une véritable télécommande à distance, le tout sans contact. Airmote a réussi à lever 30 000 dollars via l’accélérateur Turn8 de Dubaï, et s’apprête à lancer une opération de crowd-funding pour se lancer dans la fabrication des premiers modèles. Une aventure 100% marocaine puisque la production des porte-clés sera locale.

Dans le domaine des véhicules autonomes, la Moroccan Smart Car est une voiture connectée spécialement « pensée » pour l’Afrique. Le GPS propose ainsi des cartes détaillées de tous les pays du continent, et un accès internet. Des applications innovantes comme le « wake up call », qui suit le niveau de fatigue du pilote et l’en informe, sont également proposées. Produit en partenariat par la start-up marocaine Mag Nav (spécialisée dans la géolocalisation) et le concessionnaire américain CFAO motors, ce véhicule embarque des applications qui ont toutes été imaginées par des contributeurs volontaires lors d’un concours organisé à cet effet.

Le numérique africain est aujourd’hui une immense opportunité. Le Chinois Huawei l’a compris et vient d’investir dans la formation d’ingénieurs spécialistes du numérique sur le continent. Autre signe de l’ambition numérique africaine, la Tunisie sera en mars le premier pays à autoriser la diffusion virtuelle de sa monnaie nationale via une application fonctionnant grâce à la blockchain.

Si le pari de l’Afrique numérique est séduisant, reste au continent et aux start-ups africaines à bénéficier pleinement des dividendes du numérique, en finançant le plus possible eux-mêmes l’innovation.

Par Pierre Thouverez.

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