L’Internet of (TH)INGAPORE

« Véritablement entré au cœur des stratégies des grands entreprises/villes » en 2015, l’internet des objets (IoT pour l’acronyme anglais de Internet of Things) sera vraisemblablement une tendance forte de l’année 2016. Si les contraintes techniques et sécuritaires qui l’accompagnent (standard pour l’interopérabilité, infrastructures réseaux insuffisantes, utilisation des données) sont encore très présentes, celles-ci semblent se réduire au fur et à mesure des avancées technologiques et normatives qui se dessinent.

Quoiqu’il en soit, l’IoT a déjà commencé à révolutionner les habitudes de millions de personnes, que ce soit en termes de consommation, de mode de vie domestique, de transport ou même de santé, et cette dynamique tend à s’accélérer. La démocratisation et la diffusion massive de smartphones et tablettes, parce qu’ils permettent un accès constant et permanent au web, en sont une raison importante. Au-delà de cette utilisation « individuelle », il a également fortement impacté les secteurs économiques tertiaire et secondaire, et s’étend de plus en plus au primaire notamment par l’utilisation de senseurs pour récolter des données en temps réel. En ce qui concerne l’industrie, l’IoT s’intègre dans un processus plus global appelé smart-manufacturing qui regroupe également la robotique, la chaîne d’approvisionnement, l’efficacité énergétique… Ce thème a, par ailleurs, fait l’objet d’une étude stratégique dédiée ( plus d’information ) et d’une bourse aux technologies organisée par l’Institut Mines-Télécom dans le cadre du programme CVSTENE.

Depuis très récemment, l’IoT connait une (r)évolution majeure. Loin de ne se limiter qu’à une utilisation Machine-to-Machine, comme ce fut le cas à ses débuts, il s’oriente désormais vers une utilisation Human-to-Machine déplaçant ainsi l’individu au centre de cette technologie, créant de fait une nouvelle relation client. Ce changement est en phase d’être réalisé d’ici la fin de la décennie grâce à six innovations et environnements technologiques : l’augmentation du nombre d’appareils connectés, l’utilisation de capteurs, l’accès aux réseaux connectés, le cloud, le big data et l’évolution des interfaces utilisateurs (capable de s’adapter aux changements de situations grâce notamment au machine learning).

Si l’IoT est aujourd’hui un phénomène mondialisé, certaines régions apparaissent plus avancées comme les États-Unis et l’Asie orientale, bien que l’Europe, grâce à ses Smart Cities, et la France avec ses start-up innovantes, parviennent à tirer leur épingle du jeu.

                  Ainsi, en Asie, Singapour se veut un territoire à la fois pionnier et à la pointe de cette tendance technologique de plus en plus concurrentielle. En 2015, la Cité-Etat avait ainsi lancé l’initiative Smart Nation Innovation dont l’objectif est de faire de Singapour une Smart City dans laquelle les objets connectés permettront d’offrir de nouvelles possibilités aux citoyens, aux entreprises et au gouvernement. Le Ministre de la communication et de l’information Yaacob Ibrahim désignait ainsi l’IoT comme « une des clefs de la réalisation de la Smart Nation singapourienne ». L’action de senseurs et capteurs à travers la ville devrait permettre aux personnes de recevoir et transmettre des informations en temps réel sur l’état du trafic, leur état de santé, les activités disponibles dans un quartier donné, etc. Pour ce faire, l’Infocomm Develpment Authority (IDA)  a développé la Smart Nation Platform qui vise à déployer plusieurs technologies innovantes en collaboration avec des industries partenaires à la fois locales et internationales comme Microsoft, IBM, Hitachi Data Systems, Intel pour en nommer certaines. Il existe un véritable dynamisme scientifique et technologique autour de la question et de l’utilisation des objets connectés. Plusieurs laboratoires et centres de recherche, à la fois rattaché à des universités ou à des grands groupes privés, travaillant sur cette thématique. L’un d’eux, le Future Cities Laboratory du Singapore ETH-Center, se concentre principalement sur l’amélioration  de la vie urbaine grâce, entre autre, à une utilisation et une analyse des données récoltées via l’IoT.

Si la cité-Etat a bien saisi les avantages de l’IoT dans sa gestion urbaine et le bien-être de ses citoyens, elle est aussi pleinement consciente des contraintes et difficultés liées à sa mise en place « massive ».  Pour permettre une application optimale de ces technologies actuelles et futures, elle s’est, depuis un an, donnée pour objectif de permettre à tous ses habitants d’avoir un accès permanent à Internet via leurs téléphones portables et des réseaux hétérogènes (3G, 4G, bande-étroite…) avec le concours de ses quatre entreprises de télécommunication nationales  Singtel, StarHub, M1 et MyRepublic. Toutefois, la multiplication de capteurs et d’objets connectés pose un problème quant à leur interopérabilité. Singapour a encouragé et continue de mettre entre place des standards pour l’IoT afin d’optimiser l’utilisation de ces technologies. Le SPRING et d’autres agences gouvernementales en ont ainsi définit trois types :

  • Les normes de réseaux de capteur qui permettent d’assurer l’intégralité et la bonne transmission de données collectées auprès de différents appareils et en différents lieux, ainsi que leur analyse en temps réel. Aujourd’hui deux types sont mis en avant, le TR38 pour les lieux publics et le TR40 pour les habitations. Ce dernier a été encouragé auprès des industries partenaires afin de facilité l’introduction de nouveau service dit de Smart Home (ou domotique).
  • Les normes fondamentales d’IoT qui permettent de fournir une ligne directrice commune pour l’architecture et les conditions de l’IoT, l’interopérabilité des informations et services, ainsi que la sécurité et la protection des données des utilisateurs.
  • Les normes de domaines spécifiques qui permettent de guider les industries dans le développement de solutions « intelligentes » ayant pour but d’améliorer les services de santé, la mobilité et la vie urbaine.

En parallèle de ces évolutions, le cadre légal s’adapte également pour protéger la vie privée des personnes. Ainsi la Personal Data Protection Commission (PDPC) a été créée en 2013 pour protéger et renforcer l’administration des données numériques des citoyens. La « cyber-sécurité » va de pair avec la révolution menée par l’internet des objets même si d’importantes avancées restent à faire dans ce domaine.

Singapour est devenue une place centrale dans la recherche et la mise en place des technologies liées à l’IoT. Preuve de cette position dominante, Accenture a ouvert fin 2015, avec le soutien du Singapore Economic Development Board un centre entièrement dédier aux recherches sur l’IoT. En janvier 2016, c’était au tour de Dell d’annoncer l’ouverture de son premier laboratoire sur l’IoT en Asie Pacifique, son troisième de ce type dans le monde. Singapour peut également compter sur l’innovation et la performance de ses start-up, comme Trilogy Technologies et XPed, pour avancer dans ce domaine. D’autres indicateurs de la montée en compétence et en puissance de Singapour dans ce domaine sont sa réception de la 17ème Electronics Packaging and Technology Conference de l’IEEE (organisme non-gouvernemental jouant un rôle majeur dans l’établissement des normes électriques et électroniques) le 2 et 3 décembre 2015, ainsi que du Salon internationale IoT Asia le 30 et 31 mars 2016.

Aujourd’hui, le savoir-faire de Singapour et de ses entreprises dans le domaine de l’IoT se retrouve également hors de ses frontières comme le montre le projet Sino-Singapore Guangzhou Knowledge City. Ce projet soutenu par le consortium singapourien Temasek Holding-Singbridge-Knowledge City Pte Ltd et par le consortium chinois composé du Comité Administratif Knowledge City et Guangzhou Kowledge City Investement and Development Co, Ltd, vise à développer un quartier entier de Canton pour en faire, à l’image de Songdo, une ville intelligente et innovante, aux entreprises spécialisées dans les technologies de pointes.

L’internet des objets continuera sans aucun doute à évoluer et à se perfectionner grâce à l’essor du big data et de l’intelligence artificielle. La capacité des machines à prendre en compte et analyser des données de plus en plus massives ainsi que leur capacité à comprendre et s’adapter à leur environnement ouvre en grand le champ des possibles de l’IoT. Singapour qui a déjà pris cette direction, semble bien partie pour devenir un territoire à la tête de cette révolution à la fois technologique et sociale.

Par Romain Perroud

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