On a tendance à penser que la Chine est sur un relatif ralentissement voir déclin économique. Il est vrai que sa croissance insolente à deux chiffres a freiné depuis 2010. En 2016 elle sera de 6,5%.
Mais au-delà de cette conjoncture, la Chine est pleine mutation. Mutation qui explique d’ailleurs en partie le ralentissement observé. Et le secteur du numérique illustre parfaitement cette transition en cours d’un pays qui veut -vite- se moderniser.
L’origine de cette mutation réside dans le fort exode rural en cours. L’urbanisation galopante a obligé l’Etat à repenser des villes déjà surpeuplées. La pollution, qui devient un réel problème de santé publique, a contraint l’Etat à revoir son modèle énergétique. La Chine a donc fait le pari de la technologie, en passant de l’usine de production à bas coûts à l’usine 4.0, sans transition. En passant du charbon au tout renouvelable, sans plus de transition.
Le pays, préférant embrasser la mondialisation venue d’occident plutôt que de la subir, a investi tous les domaines de la technologie : biotechnologie, informatique, nanotechnologies, aéronautique, exploration spatiale… ne sont que les derniers exemples de cette quête de puissance. Embrasser plutôt que subir, et innover plutôt que copier. Le pays a l’ambition d’être le leader mondial dans tous les domaines technologiques… rapidement, et il investit énormément pour cela en Chine et à l’étranger. Une double stratégie destinée à obtenir des résultats à court terme. Le basculement du modèle chinois est donc total.
Les deux piliers de la stratégie chinoise
Mais revenons au numérique. L’explosion de l’Internet mobile sur le marché chinois est sans précédent, tant en termes de productivité que de croissance. Selon les prévisions, les nouvelles applications Internet pourraient alimenter de 7 à 22 % la croissance du PIB chinois jusqu’en 2025. Il y a à l’heure actuelle près de 700 millions d’internautes chinois, friands de nouvelles applications à télécharger. Pour faire court, l’environnement est extrêmement favorable à l’investissement. Seuls bémols, la corruption endémique persistante (dans le secteur de la robotique par exemple) et le phénomène des contrefaçons.
Les investissements dans le numérique en Chine ont dépassé les 15 milliards de dollars en 2014. La stratégie est double. Investir massivement sur le territoire pour développer un tissu de startups compétitives et innovantes dans un écosystème parfaitement adapté. La startup Zero Zero constitue un parfait exemple. Cette jeune société chinoise a été fondée par deux anciens étudiants de Stanford, tous deux chinois, mais qui ont fait le choix de revenir en Chine pour développer leur entreprise. Ils en ont profité pour dévoiler leur premier produit, un mini-drone caméra étonnamment léger, dont la conception et la production ont été réalisées en Chine.
Second pilier de cette stratégie, le rachat de stratups et de grands groupes étrangers pour gagner en compétence et peser de tout son poids sur le marché technologique mondial. La robotique est un secteur qui illustre bien cette tendance : Pour parvenir au statut de première économie de la robotique -l’objectif affiché-, l’Empire du Milieu rachète de nombreuses entreprises étrangères. A commencer par l’italienne Gimatic, tombée aux mains du fond chinois Agic Capital (en 2015, pour un montant de 150 million de dollars). Ce même fond avait racheté le groupe allemand KraussMaffei pour un milliard de dollars quelques mois auparavant. L’intégrateur américain Paslin a été ensuite racheté pour 300 millions de dollars par Wanfeng Technoloy Group, un groupe industriel construisant des pièces pour automobiles. Ce groupe détient également des branches dans les secteurs de l’aviation, de l’automatisation et de l’investissement. Les exemples de ce type sont nombreux en Chine, dans tous les secteurs technologiques. Une stratégie qui n’a rien de nouveau, mais dont l’ampleur et le systématisme sont sans précédent.
La Chine a levé 205 milliards d’euros pour ses startups en 2015
Le plan « Internet Plus », lancé en Chine en 2015, a donné la priorité à l’innovation digitale et à la quatrième révolution industrielle. La pays est déjà l’un des plus robotisé au monde, et a inauguré sa première usine entièrement automatisée et connectée à Dongguan l’année dernière.
La chine a su développer des écosystèmes propres à chaque secteur technologique et on trouve plus d’une dizaine de centres technologiques de pointe dans le pays. A Pékin bien sûr, qui abrite la plus grande concentration de startups au monde, mais aussi Shanghai (qui concentre les éditeurs de logiciels), Hanghzou, Shenzhen (qui regroupe les sièges de grandes sociétés technologiques privées, comme Huawei ou ZTE)…Le développement de cet écosystème ne doit rien au hasard : il découle d’une stratégie d’Etat.
L’essor des fab labs participe également du foisonnement actuel : L’incubateur Maker Space, fondé en 2015, regroupe aujourd’hui déjà plus de 10 000 startups.
Ces startups gravitent bien sûr autour des géants chinois du web que sont Alibaba, Tencent et Baidu. Ces grands groupes sont le symbole du second volet de la stratégie chinoise : investir et racheter à tout va.
Un chiffre parle mieux que toutes les démonstrations : la Chine a levé 205 milliards d’euros en 2015 pour ses startups. Qui dit mieux ? Personne.
Alibaba a été très actif en Asie du Sud-Est en 2015 avec l’acquisition de SingPost et les investisements dans les startups américaines Lyft (covoiturage), TangoMe (messenger) ou Kabam (Gaming). Tencent, autre géant chinois, a également été actif avec de nombreux investissements en Chine, mais également auprès du japonais Aiming (gaming studio) et du coréen CJ (entertainment). La troisième géant de l’Internet chinois Baidu a lui frappé un grand coup avec 600 millions de dollars investis auprès de Uber, sans doute la startup américaine la plus médiatique de l’année.
Mais c’est bien l’Europe qui reste le terrain favori des investisseurs chinois, où les grands groupes de l’empire du soleil levant réalisent 60% de leurs acquisitions (contre 25% seulement aux Etats-Unis). Dernier exemple en date de l’appétit chinois, l’opération en cours du géant chinois de l’électroménager Midea, qui envisage de devenir actionnaire à hauteur de 30% de l’Allemand Kuka, un fabricant de machine outil. Une opération qui a le don d’hérisser le gouvernement allemand, qui fait actuellement tout pour torpiller la tentative chinoise. D’ailleurs l’appétit chinois pour l’industrie allemande fait l’objet d’un débat outre-Rhin. Les transferts de technologie massifs vers l’empire du milieu posent forcément question pour le futur de l’innovation germanique.
10 nouvelles startup chaque jour à Pékin
À l’exception d’Alibaba, Weibo ou encore Tencent, la planète tech chinoise est peu connue en Occident. La « Sino Valley » n’a pourtant pas grand chose à envier à la Silicon Valley américaine en termes de foisonnement d’idées et d’innovations. Si Google, Twitter, YouTube, Amazon, eBay, Uber, Expedia et Apple Pay sont des icônes de l’Amérique du numérique, Baidu, le WeChat de Tencent, Youku, JD.com, Alibaba, DidiKuaidi, Ctrip et Alipay constituent les symboles du cyberespace chinois.
Les entreprises chinoises du numérique prospèrent en s’appuyant sur leur marché intérieur et se transforment en géants du Web. Au point de lorgner les premières places mondiales. Le point commun entre tous ces champions ? Lorsqu’ils sortent de Chine, ils visent d’abord les pays émergents au lieu de vouloir d’emblée s’imposer dans les pays matures.
Du côté des fabricants de matériel, l’industrie chinoise est tirée par Lenovo et Huawei. Lenovo est numéro un mondial des ordinateurs portables. La marque fait aussi des tablettes, des téléviseurs et des téléphones. En ce qui concerne les concepteurs de services, l’écosystème chinois est dominé par trois entreprises : Baidu, Alibaba et Tencent. Cette dernière est considérée comme le «Facebook chinois», en ayant des applications de messagerie très populaires : QQ et Wechat.
Huawei est le troisième producteur mondial de téléphones portables, derrière Samsung et Apple. L’entreprise a vendu 80 millions de smartphones vendus en 2014. L’essentiel de son activité, cependant, se fait dans la vente d’équipements pour les réseaux téléphoniques.
Petit tour d’horizon -non exhaustif- des startups chinoises et des grands groupes à suivre
Les smartphones de Xiaomi ont un grand succès auprès des jeunes Chinois. Sans crier gare, l’entreprise chinoise a conquis durant l’été 2015 le titre de numéro 1 des ventes de smartphones en Chine. La startup n’a pourtant que 3 ans d’existence ! Son modèle, basé uniquement sur la vente en ligne pour supprimer tous les frais de distribution, a fait mouche.
Dans le domaine de la génomique, BGI est une société spécialisée dans le séquençage de l’ADN. Elle a notamment investi massivement sur du matériel de pointe de séquençage du génome. L’institut, basé à Shenzhen, est aujourd’hui leader mondial et, grâce à des techniques avancées, a réussi à réduire le coût moyen d’un séquençage à quelques milliers de dollars.
L’innovation ouverte est au cœur de la stratégie du groupe Haier. Les employés y sont incités à s’impliquer dans les processus d’innovation, et même à fonder leurs propres entreprises. La société a développé des plateformes d’innovation ouverte, telles que Qingdao Haier et Haier Electronics, où les employés peuvent apporter de nouvelles idées pour développer les solutions de demain.
Après avoir lancé un smartphone sous sa propre marque et tournant sous androïd, la société Geak a conçu… le Geak, un anneau qui permet de déverrouiller son téléphone et activer différentes fonctionnalités, telles que des informations sur votre identité ou l’activation de différents appareils de la marque si vous passez à proximité d’un de leurs magasins.
Surfant sur l’immense popularité des émissions de télé-réalité, le site chinois YY, dédié à la base aux gamers, vise à présent le grand public en lançant un karaoké virtuel qui permet aux internautes de chanter et de voter pour les nouveaux talents, commenter et même offrir des cadeaux virtuels.
La société Cootek répond au besoin des utilisateurs à taper plus efficacement sur leur clavier. Elle a sorti un clavier appelé TouchPad X-Clavier, déjà téléchargé par plus de 100 millions d’utilisateurs à travers le monde et disponible sous 8 systèmes d’exploitation différents.
La rapidité avec laquelle certaines startups chinoises croissent tient -on l’a dit- à l’écosystème mis en place, mais également à la culture entreprenariale propre au pays. Ainsi, pour une entreprise comme Haier, c’est une vision nouvelle de l’innovation -les employés ont un droit de vote pour faire évoluer les projets sur lesquels ils travaillent- qui lui a permis de se démarquer. Xiaomi a profité de la prédisposition de la clientèle chinoise à prépayer ses téléphones pour proposer un modèle -vente en ligne- qui permet de proposer des téléphones moins chers que la concurrence. Un groupe comme BGI a lui profité des orientations étatiques, et s’est projeté dans un secteur -la génomique- où la Chine a de grandes ambitions, et où les subventions fleurissent. Si Baidu peut offrir un service “cloud” de 10 TB, c’est notamment en fonction des économies d’échelle liées à la taille de société. Plusieurs startups ont réussi à véritablement pénétrer de nombreux marchés intérieurs pour grandir. Enfin, autre marqueur culturel à noter, l’évolution constante des besoins clients, qui incite les startups du numérique à innover sans cesse, et qui génère aussi un marché de conseil et de coaching très important.
La France plaît aux investisseurs chinois
Sécurité des paiements, e-commerce, big data… Les besoins en technologie des groupes chinois sont larges. Plusieurs startups françaises ont déjà profité du succès incroyable de l’e-commerce (qui a généré 539 milliards de dollars en 2015 en Chine), comme l’atteste l’exemple de Sokrate, qui développe des solutions 3D en temps réel pour internet et smartphones, et qui a développé sa clientèle chinoise depuis peu.
Au niveau du cloud computing également, la volonté chinoise de se développer rapidement a vu les investissements exploser et des startups françaises profitent déjà de cette manne.
La Chine tente également de rattraper son retard et cherche des partenaires pour l’aider à développer son secteur médical. Avec son système de santé et ses nombreuses expertises en termes de techniques et technologies médicales, la France fait figure de partenaire privilégié.
Autre segment très porteur pour les start-up françaises : conseiller et aider les grands du numérique chinois à sortir de leurs frontières. À ce titre, l’aventure de MobPartner est remarquable. Créée en 2006, la société d’affiliation de publicité sur mobile a été démarchée par NQ Mobile, un fabricant d’antivirus de Pékin, qui venait d’ouvrir un bureau au Texas, avec un objectif clair : accompagner le groupe à l’international. « En dix-huit mois, NQ Mobile a atteint 3 millions d’utilisateurs dans le monde, et ils nous ont recommandés à d’autres sociétés » ( la société a aujourd’hui 25 clients chinois), raconte Guillaume Alabert, le cofondateur de MobPartner.
Même si quelques secteurs restent relativement fermés aux investissements étrangers pour des raisons de contrôle étatique, les startups françaises développent des compétences qui leurs permettent d’être compétitifs dans beaucoup de domaines. Citons la modélisation 3D, la post production, le montage.
Preuve de cette réussite, suite au French Tech Tour 2012, quatre des dix sociétés qu’Ubifrance a accompagné ont signé des contrats. 6wind, par exemple, est en cours de signature avec Huawei sur la cartographie de maintenance de ses sites relais. Total immersion propose de son côté des essayages virtuels avec Taobao, le site de e-commerce qui appartient au groupe Alibaba.
Pour le numérique français, la Chine est donc un terrain plein d’opportunités, à condition de s’adapter à l’écosystème locale et à la culture entreprenariale chinoise si spécifique.
Par Pierre Thouverez