La robotique au Japon n’est pas un phénomène nouveau. Dès le 17ème siècle l’utilisation de petits automates, appelés marionnettes Karakuri, apparaît dans le pays, à la fois dans les foyers mais également dans le théâtre et lors de processions religieuses où ils servent pour la reconstitution de mythes et légendes traditionnels. C’est toutefois dans le dernier quart du 20ème siècle que l’utilisation des robots se répand, en particulier dans l’industrie et sur les chaînes de production. Dès cette époque le Japon devient le leader mondial des robots d’usine, avec un marché dominé par les entreprises Fanuc, Kawasaki Heavy Industries and Yaskawa Electric. Depuis la fin des années 90 et début des années 2000, les robots ont peu à peu occupé un rôle plus social, servant à la fois « d’objet » de compagnie, comme le robot-chien AIBO de Sony commercialisé entre 1999 et 2006, que d’aide au quotidien. Les énormes progrès réalisés dans l’intelligence artificielle, grâce notamment au machine learning, ont permis à la robotique de franchir un nouveau palier dans l’utilisation et l’interaction robot-humain au quotidien.
Le Japon reste encore le pays de référence dans ce domaine où la recherche fondamentale et appliquée, que ce soit au sein d’universités ou de grosses entreprises et conglomérats (Keiretsu), est largement encouragée. L’importante compétition entre les différents acteurs, à la fois historique (comme Fujitsu, Toyota, Mitsubishi, Hitachi pour ne citer qu’eux) et les nouveaux entrants (Softbank), génère une forte dynamique de marché et d’innovation.
De plus, depuis 2015, le gouvernement du premier ministre Shinzo Abe exhorte la « Révolution robotique ». L’objectif est de généraliser l’utilisation des robots dans l’ensemble de l’industrie Japonaise ainsi que dans les services. La publication par le METI (le Ministère de l’économie, du commerce et de l’industrie, considéré comme l’un des plus puissants du pays) du plan New Robot Strategy et la création du Conseil d’Initiative de la Révolution Robotique (Robot Revolution Initiative Council) démontrent l’importance économique, sociale et politique des robots pour l’avenir, mais également les espoirs qu’ils suscitent.
En effet, le pays connaît un vieillissement important de sa population au sein de laquelle les plus de 65 ans représentent une part de plus en plus grande (plus de 26% en 2015 selon la banque mondiale). La réduction du taux de natalité et de la démographie (passant de 128 millions à moins de 127 millions entre 2010 et 2015), ne permet pas le renouvellement des générations et menacent ainsi l’ensemble du système social, les jeunes ne pouvant plus supporter les plus âgés. Dans cette situation, l’utilisation des robots représentent bien plus qu’une aubaine économique : elle permettrait d’éviter la pénurie de main d’œuvre dans un pays où l’immigration de masse est politiquement infaisable.
Au Japon, contrairement aux pays occidentaux, la résistance et la crainte face aux robots est faible. Les personnes y semblent plus disposées à interagir ou être assistées par eux. Aujourd’hui, ils occupent une place de plus en plus importante dans l’économie et le paysage local, accueillant et servant les clients dans les magasins et dans les banques, et construisant des biens technologiquement avancés sur les chaînes de production des manufactures nationales. Il existe pratiquement autant de type de robot qu’il y a de finalités à leur utilisation. Dans cet article, l’accent sera principalement mis sur les robots sociaux, servant de compagnie, et les robots utilisés dans les services (aide à la personne, interaction avec les consommateurs), qui apparaissent comme les débouchés les plus porteurs actuellement, bien que l’industrie et surtout l’agriculture semblent être également promis à un bel avenir.
Le marché des robots dits « sociaux » est relativement nouveau. Bien que n’étant qu’à ses prémices, son importance future semble toutefois se concrétiser, comme tend à le prouver la décision de Sony d’y revenir après s’en être retiré en 2006. Ce secteur est aujourd’hui dominé par Softbank et son robot Pepper, capable d’interagir avec les personnes, de reconnaitre des émotions et d’en émettre lui-même. Pepper est une co-création issue du rachat du Français Aldebaran par Softbank, le premier s’étant fait connaître avec son robot de compagnie NAO.
Dans les services aux consommateurs, Hitachi a encore récemment fait parler de lui avec son robot EMIEW (pour Excellent Mobility and Interactive Existence as Workmate). Il s’agit d’un robot humanoïde capable de se déplacer en évitant les obstacles, de communiquer et d’interagir avec les personnes, dont le premier modèle fut lancé en 2005. La troisième version, l’EMIEW3, est aujourd’hui utilisée dans l’aéroport international de Tokyo-Haneda où il informe les passagers. Son champ d’utilisation s’étale sur trois phases, dont la dernière lui permettra de guider directement les personnes à leur porte d’embarquement. Dans la même lignée, en mars de cette année, Honda avait déjà, et pendant une semaine, mis à l’œuvre son robot ASIMO aux arrivées de l’aéroport Narita International pour accueillir les visiteurs. Bien qu’il s’agisse ici essentiellement d’une vitrine éphémère du savoir-faire du constructeur, cet événement témoigne de son dynamisme à la fois technologique et commercial dans ce secteur.
C’est toutefois dans le domaine des soins et de l’aide à la personne, où l’utilisation de robot est privilégiée pour pallier au manque de personnel, que la robotique semble avoir de nombreuses perspectives. Pour citer quelques exemples, depuis 2005 la branche robotique de Fujitsu, produit un robot d’aide et de soins nommé ENON. Grâce à son système de localisation et de reconnaissance vocale, il peut se déplacer et interagir avec les personnes qu’il assiste. Toyota mise également depuis quelques années sur ce secteur pour lequel il développe une gamme de robots spécialisés dans l’aide au quotidien et dans l’assistance aux soins.
L’industrie 4.0 ou « 4ème révolution industrielle », mise aussi sur la robotique pour pousser encore un peu plus l’automatisation de la chaine production, et augmenter la qualité du livrable. Dans ce domaine Fujitsu entend également jouer un rôle majeur en alliant internet des objets, analyse de données, robotique et système de contrôle afin de minimiser, notamment, les commutations des tâches ou des plans de production. L’utilisation des robots s’étend également au monde de l’entreprise et dans les bureaux, en particulier pour des tâches ne nécessitant pas de qualifications particulières, comme la livraison en interne de documents, du courrier, etc.
Le secteur agricole représente également un fort débouché à venir pour la robotique. Avec une surface cultivable faible et une population relativement importante, le Japon, dont le nombre de retraités va continuer d’augmenter, semble avoir trouvé un début de solution en robotisant des fermes intérieures. Quelques entreprises ont déjà planifié de tels projets dans lesquels les robots, grâce à leurs capteurs, pourront, non seulement, reconnaître un fruit ou un légume mûr, mais également contrôler la température et le taux d’humidité.
Toutefois, la position dominante du Japon dans la robotique est de moins en moins nette. L’événement le plus marquant est sans nul doute l’utilisation de robots américains sur les lieux de la catastrophe de Fukushima. En effet, si d’un point de vue hardware le pays reste numéro un, comptabilisant trois des cinq plus grosses entreprises mondiales de construction de robots industriels, du point de vue software, les États-Unis demeurent le pays de référence. Bien que le Japon excelle dans la production de robots anthropomorphiques et de robots de chaine de fabrication automatisée, la domination américaine dans le domaine de l’intelligence artificielle leur confère un rôle de premier plan dans la robotique (voitures autonomes, reconnaissance d’image et vocale, etc.). Aujourd’hui, ce domaine est devenu une affaire nationale, Washington ayant ainsi investit plusieurs millions de dollars dans la National Robotic Initiative, encourageant les innovations technologiques dans ces deux domaines à présent quasiment indissociables.
La Chine, dont les progrès en machine learning sont notables, ainsi que la Corée du Sud, dont le maître mot aujourd’hui est « l’économie créative », apparaissent également, comme des concurrents sérieux pour le Japon, tout comme l’Europe qui s’est récemment lancée dans la course avec le lancement du projet EU SPARC, le plus important programme civil d’innovation robotique financé au monde, avec 700 millions d’euros répartis entre 2014 et 2020.
La France a aussi vu naître quelques champions dans le domaine, dont le plus célèbre est Aldebaran et son robot NAO, racheté par le Japonais Softbank, non sans créer de polémique. Autre start-up française à la pointe : Blue Frog Robotic, et son robot « compagnon » Buddy, dont le logiciel est en open source afin d’être alimenté par la communauté des développeurs.
Face à cette « révolution », se posent néanmoins la question de la régulation et de la répartition des richesses si les robots venaient à prendre la place des hommes dans de nombreux type d’emplois. Plusieurs articles traitent aujourd’hui de l’évolution des rapports entre l’homme et le travail et entre les hommes entre eux, dans une société où les machines et l’intelligence artificielle auront rendu certaines qualifications obsolètes. Sans surprise, la plupart de ces réflexions proviennent du Japon et des Etats-Unis, dont l’adaptabilité des sociétés et des cultures n’est plus à démontrer.
Par Romain Perroud
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