Du 26 au 29 avril 2016 se tenaient les journées Eureka à Stockholm, sous la présidence suédoise. Le thème de l’année est le sujet des « Smart Cities, communautés durables et attractives », que la ville de Stockholm n’a pas à rougir d’accueillir en son sein. Outre le modèle d’urbanisation vertueux qu’elle a adopté, Stockholm est la capitale de l’un des pays les plus ouverts et avancés en matière de génération et traitement de la donnée, et la ville génère à elle seule plus de données que l’Allemagne entière.
Eureka, initiative européenne inaugurée il y a 31 ans, avait pour origine une volonté politique de créer un cadre pour le maintien et l’amélioration de la compétitivité et de la coopération économique des états membres. Aujourd’hui, Eureka s’est sensiblement dépolitisée pour se focaliser sur les enjeux de l’économie globalisée, et s’est ainsi ouverte à d’autres régions du monde, de l’Asie du Sud Est au sud de l’Afrique et l’Amérique du Nord.
Retrouvez l’ensemble des chiffres EUREKA par pays et segments technologiques d’intérêt
De 1985 à 2014, le sujet des Smart Cities a représenté un total de 80 projets pour un montant d’investissements publics et privés de 1,1 milliard d’euros. Les clusters d’Eureka se sont engagés en 2014 à atteindre un objectif de 2 milliards d’euros investis dans la thématique d’ici 2020 : et en 2015, 16 projets ont émergé pour un investissement total de 200 millions d’euros
Les conférences et tables rondes organisées ont permis de rappeler à quel point le sujet de la ville du futur embrasse un vaste champ de recherches et d’innovations contemporaines tout en plaçant en son cœur l’humain, la qualité de vie et la préservation de l’environnement en général.
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La notion de Living Lab prend ainsi son sens entier, puisque la ville et les citadins deviennent le laboratoire d’expérimentation et ses contributeurs. Des initiatives structurées en ce sens ont été lancées pour des villes ayant des problématiques aussi différentes que Glasgow en Ecosse et Malmö en Suède, par exemple :
Glasgow est une ville ancienne entourée d’une vaste conurbation portant la population totale à 2,3 millions d’habitants. Les problématiques de rénovation, de diminution de la criminalité, de surveillance et d’abaissement de la pollution y sont prioritaires. Les initiatives afférentes sont regroupées et coordonnées dans le programme Future City Glasgow.
Malmö est une ville en pleine expansion et la plus multiculturelle de Scandinavie du fait de sa proximité avec Copenhague. L’Université de Malmö n’existe que depuis la fin des années 1990, ainsi la ville doit gérer une croissance extrêmement rapide de sa population, de l’emploi donc de son activité en général : la technologie est clé pour coordonner cette urbanisation rapide.
Pour autant, les technologies employées dans les deux initiatives sont les mêmes : génération et utilisation de big data, analyse prédictive, urbanisme collaboratif, cartes ouvertes, ces informations contribuant aux plans d’urbanisme, à la construction ou l’amélioration des logements, des infrastructures de transport, la qualité de l’air et la qualité de vie, et amélioration des bilans énergétiques des villes, notamment dans le cadre des objectifs fixés par les Nations Unies à l’issue de la COP21 de fin 2015. C’est d’ailleurs à Stockholm que s’est tenue en 1972 la conférence à l’origine de la création du Programme des Nations Unies pour l’Environnement.
Sur tous les sujets, le facteur humain (i.e l’analyse et la compréhension des besoins et des changements de comportements), demeure le sujet prépondérant. Le processus d’évolution ne peut donc pas être simplement linéaire. Un représentant de KTH Venture, fonds d’investissement spécialisé dans les énergies renouvelables de premier plan en Suède, cite le philosophe français Derrida insiste sur la nécessité de passer par un processus de déconstruction global : des infrastructure, des process, des modèles économiques (l’uberisation de l’économie en est une illustration, avec l’opportunité de la flexibilité et du partage accrus et en contrepartie la menace de la précarisation de l’emploi, sa pénétration rapide du marché et sa confrontation chaotique aux régulations), et des usages pour atteindre à l’objectif de la ville du futur.
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Lorsqu’on examine les axes de recherche et d’innovation des laboratoires et des entreprises, il est difficile de trouver des sujets qui ne participent pas de la thématique des Smart Cities. Deux des sujets clés sont la mobilité des personnes et des biens et l’énergie :
Dans le domaine des transports par exemple, la voiture sans conducteur (Projet Prometheus, financement Eureka de 749 M€) est le marché émergent le plus prometteur, en parallèle du regain d’intérêt pour des moyens de transports en commun comme le tram, le vélo et la marche à pieds. Si la recherche et l’innovation concernent d’abord la faisabilité technique du premier moyen de transport cité, elles portent également sur l’orchestration et l’optimisation des autres moyens de transport, qu’ils soient publics et privés, la part des transports publics étant amenée à croitre considérablement dans le mix des moyens de transport des usagers urbains. Les modèles économiques afférents sont conséquemment amenés à changer. La ville du futur peut ainsi être conçue comme un ensemble de calques inspirés des modèles de l’économie digitale (City as a Platform, City as a Service). Reviennent à ce propos de manière omniprésente les enjeux d’analyse de la donnée massive et sa sécurisation, en concertation nécessaire avec les citoyens (approche bottom-up), les pouvoirs politiques, et en accord avec les règles du marché.
Sur les sujets d’optimisation de la consommation d’énergie, de nouveaux enjeux émergent comme l’adaptation automatique de la lumière artificielle en fonction du niveau de la lumière naturelle ; l’intégration des énergies renouvelables au cœur même de la ville, des bâtiments, anciens comme nouveaux, et les problématiques de gestion des pics constituent un sujet complexe qui pourrait être résolu par la capacité de stockage… de la voiture électrique comme le prédit Philippe Bourguignon, directeur de projet chez Engie. Ainsi, le déploiement de tous les changements et la montée en puissance des nouvelles technologies doit-il encore une fois se faire de manière coordonnée, et au rythme d’évolution des usages et besoins de l’homme.
Si l’on examine les thématiques technologiques phares toutes sont belles et bien pour tout ou partie un sujet pour les Smart Cities :
- La thématique ICT pèse un poids presque aussi grand que la catégorie santé (environ 30% chacune en poids pondéré au sein des projets par pays) :
- Parmi les ICT, l’analyse et la sécurisation des Big Data constituent un enjeu fort avec la multiplication des capteurs et des sources de donnée au sein de la ville, pour l’amélioration de qualité de vie sans faire obstruction au respect élémentaire de la vie privée
- En santé, les dispositifs médicaux davantage que les nouveaux traitements seront acteurs du bien vieillir dans la ville, avec une plus grande proportion de personnes en état de demeurer à leur domicile et de conserver leur autonomie et une bonne qualité de vie
- Les projets industriels tiennent la troisième position avec environ 20% : l’industrie du futur, moins polluante, plus flexible participera par sa reconfiguration à l’urbanisation du futur
- Les projets centrés sur l’utilisateur et les services occupent la 4è place avec environ 10% du poids pondéré : par l’impact direct qu’ils ont sur la qualité de vie des femmes et des hommes, ils rejoignent la première priorité de la thématique Smart Cities
- Le solde des projets se répartit entre les thématiques Environnement, Transport et Construction, qui constituent leur cœur même de la ville. Les pays pour lesquels les projets portent majoritairement sur les thèmes environnement, énergie et transport au sein d’Eureka sont de petits pays à l’exception du Canada : Luxembourg, Grèce, Croatie, République Tchèque…
La réussite de l’initiative Smart Cities, plus que tout autre, dépend de la mise en œuvre conjointe et coordonnée de toutes les avancées technologiques en lien primordial avec l’humain. De plus, la ville du futur bâtie par les nouvelles technologies, aura un impact immense sur la vie quotidienne, les régulations et les institutions politiques, si bien qu’une concertation des pays et une approche globale sont nécessaires à sa mise en œuvre. Eureka est une initiative clé pour apporter les fondements de cette révolution urbaine en marche.
Par Valérie Boutant