Le machine learning (« apprentissage automatique » en français), dont le deep learning est une méthode, se situe au centre des innovations techniques, technologiques et informatiques contemporaines. Son champ d’application recouvre quasiment tous les domaines possibles, allant du médical, avec l’intelligence artificiel Watson conçue par IBM pour détecter les cancers, à l’industrie automobile avec les véhicules autonomes de Google, en passant par les applications de reconnaissance vocales ou faciale utilisées par les smartphones de dernière génération. Le deep learning, parce qu’il permet de traiter de nombreuses données grâce à des réseaux de neurones artificiels, a récemment accéléré les avancées dans le domaine de l’intelligence artificielle. Le dernier événement marquant est sans nul doute la victoire du programme informatique Alphago, conçu par Google DeepMind, dans son duel contre Lee Sedol. Celui-ci utilisait notamment un mélange de deep learning, d’apprentissage par renforcement (méthode se rapprochant de la théorie des jeux et qui consiste à calculer, grâce à l’expérience acquise, la solution qui permettra une optimisation des gains) et de la méthode dite de « Monte-Carlo » (basée en partie sur le hasard et les probabilités).
Aujourd’hui, les innovations majeures proviennent principalement des Etats-Unis où le GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), en recrutant des chercheurs et en rachetant des Start-up qui développent ces technologies de demain, prennent une avance considérable dans le domaine de l’intelligence artificielle. Cependant le machine learning prend également de l’ampleur en Asie, et plus spécifiquement en Chine, comme tend à le montrer la 7ème Asian Conference on Machine Learning qui s’est tenue en Novembre 2015 à Hong Kong, où de nombreux professeurs chinois sont venus partager leur travaux.
Au-delà cette dimension théorique et/ou académique, la Chine est également entrée dans la course grâce à ses géants nationaux comme Alibaba et Baidu qui n’hésitent pas à investir dans d’importants projets de recherches.
Depuis quelques temps, Baidu se positionne comme une entreprise à la pointe de l’intelligence artificielle. En 2013, le Baidu Institute of Deep Learning (source en chinois) est inauguré, avec pour objectif de couvrir les champs de recherches suivants : reconnaissance d’image, interaction human-to-machine, vision 3D, science informatique et, bien sûr, le machine learning, dont le deep learning occupe une place importante. Pour arriver à ses fins, la firme chinoise a recruté en 2014 Andrew Ng comme directeur scientifique. Professeur Associé au département de science informatique à l’université de Stanford, Andrew Ng est considéré comme l’un des meilleurs chercheurs sur le deep learning. Cette annonce semble ainsi faire l’écho à celles de Google et de Facebook. En effet, en mars 2013, le premier s’offrit les services de Geoffrey Hinton, un des pionniers du deep learning, en rachetant son entreprise. En décembre 2013, le second recruta Yann Lecun pour diriger son laboratoire d’intelligence artificielle, un spécialiste du deep learning qui fut notamment post doctorant au sein du laboratoire de G. Hinton.
Encouragé par ses progrès dans l’intelligence artificielle, Baidu s’est récemment lancé dans la compétition des voitures autonomes. Un prototype a été montré en décembre 2015 au président Xi Jinping lors d’une exposition sur les technologies d’Internet dans la ville du Wuzhen où avait eu lieu le premier essai en ville de son véhicule sans chauffeur (source en chinois). L’objectif affiché de construire un écosystème de conduite totalement autonome nécessite la coopération des gouvernements central et provinciaux, des constructeurs automobile, de capteurs et de serveurs, et des instituts de recherches. En mars 2016, Baidu et la ville de Wuhu, dans la province de l’Anhui, ont ainsi signé un accord de coopération pour construire une zone de transport dédié aux véhicules autonomes. Ce projet s’inscrit autant dans le projet chinois de « Smart city » promu par le Ministère du Logement et du Développement Urbain et Rural (voir notamment notre veille sur les smart cities de février 2016), que dans la volonté de Baidu de faire rouler un véhicule autonome d’ici trois ans et de le commercialiser massivement d’ici cinq ans. Bien que ses principaux concurrents, Google en tête, se soient lancés dans cette course bien avant elle, la firme chinoise a toutes les raisons de croire en ses capacités à réaliser ses objectifs, notamment en apprenant des erreurs des autres, ce qui lui permet de connaître à l’avance les difficultés et défis qu’elle va rencontrer.
Le géant chinois concentre également ses recherches de deep learning dans les interfaces human to machine, en particulier la reconnaissance visuelle et vocale, via notamment son laboratoire de la Silicon Valley (Silicon Valley AI Lab). Dans un récent article, la firme exposait ses succès dans la découverte d’algorithmes et de méthodes (Deep Speech) pour améliorer la reconnaissance et la compréhension vocale des machines. Ses recherches ont récemment trouvé une finalité commerciale en démarrant une collaboration avec Peel, une société spécialisée dans la commande à distance des machine et objet, afin d’intégrer sa technologie Deep Speech dans les solutions de reconnaissances vocales de cette dernière.
En outre, les recherches menées sur l’intelligence artificielle et l’utilisation des données massives ne trouvent pas seulement des finalités civiles et commerciales. Au-delà du rôle joué par ses champions économiques, la Chine mise également sur le machine learning pour sa sécurité et stabilité intérieure. Le développement de programmes capables d’identifier les visages des personnes sur les caméras de surveillance afin de connaître les déplacement d’un individu et les personnes qu’il fréquente, couplés à une surveillance des comportements suspicieux et « déviant » à la fois sur internet et dans les transactions financières, doterait Pékin d’un puissant pouvoir de contrôle pour des actions préemptives (voire « préventives »). Certains y voient d’ailleurs une technologie « precrime » qui n’est pas sans rappeler le film Minority Report (2002). Historiquement, ces technologies et leur concept d’utilisation ont d’abord été développés par les Etats-Unis. Toutefois, la Chine tend à devenir l’Etat le mieux dotés et le plus « performant » dans ce domaine. Cette volonté de connaître et anticiper tous comportements potentiellement nuisibles à l’Etat n’est pas nouvelle, mais les révolutions arabes de 2011, et le début de protestation pro-démocratique qui s’en ait suivi en Chine, ont accru ce phénomène. Si certaines recherche comme la catégorisation des pages web chinoise peuvent sembler anodine, voire bégnine, elles peuvent néanmoins s’inscrire dans cette logique de contrôle des personnes et de censure de l’Internet que la Chine a mis en place depuis déjà plusieurs années.
Sans pour autant faire de lien direct entre les activités de Baidu et le gouvernement chinois, il est intéressant d’observer que le big data et la capacité croissante de traiter les données recueillies sont devenus une spécialité de la firme. Depuis le début des années 2010, l’entreprise a compris l’importance du machine learning et du data training qui constituent pour elle la pierre angulaire de son développement (source Baidu en chinois). En effet, 95% des internautes du pays utilisent Baidu, soit plusieurs centaines de millions d’utilisateurs quotidiens et une masse immense de données générées. En tant que plus gros moteur de recherche en chinois du monde, il a dû très vite trouver une solution pour utiliser toutes ces données (principalement dans la cartographie interactive et le commerce). La firme mise aujourd’hui énormément dans le machine learning, en recrutant des experts et docteurs spécialistes dans ce domaine, et en y allouant une part toujours plus grande de son budget R&D.
Pour finir, le domaine militaire est lui aussi un champ d’application important et prometteur du machine learning et du deep learning, en particulier dans les interactions homme-machine. Il est cependant essentiel de noter que nous entrons ici dans un domaine fermé et secret, dans lequel beaucoup d’observations extérieures tiennent plus du fantasme que d’une réalité opérationnelle (aussi bien à court que moyen termes). Toutefois, il ne fait nul doute que des programmes existent, notamment dans la robotique. Ainsi, la Chine semble avoir pris cette voie, avec le développement d’un prototype de robot de terrain par l’Institut Technologique de Harbin, qui serait capable, à terme, de viser ses cibles et déclencher un tir de façon autonome, c’est-à-dire sans interférence humaine.
Machine learning, intelligence artificielle, utilisation de donnée massive, etc. apparaissent comme autant de terrains sur lesquelles la compétition sino-américaine semble s’étendre, et dont la finalité commerciale, mais aussi militaire, des recherches (comme tend à le montrer l’intérêt croissant de la DARPA pour ces technologies) pourraient avoir des impacts considérables. Conscient des avantages que lui procurerait le statut de « puissance technologique », l’Empire de Milieu affiche sa volonté de devenir un acteur incontournable de cette course à l’innovation, dans laquelle il faudra désormais composer avec lui.
Par Romain Perroud