Les supercalculateurs, également appelés superordinateurs, sont des ordinateurs conçus pour avoir des capacités de calcul très élevées. Leur utilisation revêt des finalités variées, dans des domaines spécifiques, à la fois civil et militaire, nécessitant une très forte puissance de calcul. On les retrouve notamment dans les prévisions météorologiques, l’étude du climat, la chimie (pour le calcul de structure et modélisation moléculaire par exemple), les simulations physiques comme l’aérodynamisme, les calculs de résistance des matériaux, les simulations d’explosion nucléaire ou de fusion nucléaire, ainsi que la cryptanalyse et la finance haute fréquence. La vitesse d’un système informatique, autrement dit ses performances de calcul, est calculé en FLOPS (Floating-point Operation Per Second, ou opération en virgule flottante par seconde).
Les superordinateurs ont commencé à être développés dans les années 1950 aux États-Unis. Le modèle IBM 704 sortit en 1955, premier ordinateur de série à utiliser des opérations en virgule flottante, marque le début de l’ère des superordinateurs, bien que sa puissance de 4 kFLOPS ne lui permette pas d’entrer véritablement dans cette catégorie. Avec la sortie en 1961, après six années de développement, du modèle IBM 7030 d’une capacité de 1 MFLOPS, les premiers super-ordinateurs voient le jour.
Depuis, les générations successives de superordinateurs ont connu une croissance quasi exponentielle de leur capacité de calcul. Jusqu’à la fin des années 2000, les États-Unis ont occupé le podium des supercalculateurs les plus puissants, bien que certains modèles japonais, développés par Hitachi ou Fujitsu, aient, à certains moments, pris la tête de ce classement (pour la première fois en 1993 avec le Fujitsu VPP500). La suprématie américaine dans ce domaine est depuis 2010 contestée par la Chine. Aujourd’hui, les deux plus puissants superordinateurs du monde sont chinois : le TaihuLight et le Tianhe-2, avec des puissances respectives de 93,01 et 33,81 PFLOPS (un PFLOPS ou PétaFLOPS est égal à 1015 FLOPS) selon le classement établi par le Linpack Benchmark. Si le second est composé de processeurs multi-cœur de Intel, le premier est, quant à lui, de fabrication 100% chinoise. Développé par la National Research of Parallel Computer Engineering and Technology, il est composé de processeurs développés par le Shanghai High Performance IC Design Center. Ces deux superordinateurs arrivent loin devant le troisième, l’américain Titan conçu par l’entreprise Cray, d’une puissance de 17,59 PFLOPS.
Outre sa vitesse de calcul extrêmement élevée, l’une des caractéristiques les plus intéressantes du TaihuLight est sa consommation d’énergie relativement basse par rapport à ses capacités. En effet, celui-ci consomme 6 GFLOPS/W (GigaFLOPS par Watt), légèrement moins que son dauphin, pourtant trois fois moins puissant. La composante énergétique est un élément crucial pour les supercalculateurs, les besoins de ceux-ci devenant de plus en plus importants (alimentation des processeurs, refroidissement et climatisation) au fur et à mesure que leur puissance s’accroît. Sur ce point toutefois, le Japon entend bien concurrencer la Chine et devenir le leader grâce à la construction, d’ici la fin de l’année, d’un supercalculateur dont l’efficacité énergétique serait la plus importante au monde. Développé par le National Institute of Advanced Industrial Science and Technology – AIST, celui-ci devrait atteindre une puissance de calcul de 130 PFLOPS pour une consommation de seulement 3 MW, alors que l’actuel leader chinois en consomme 15 MW.
Toutefois, dans la course perpétuelle qu’est la recherche scientifique contemporaine, la Chine ne semble pas être prête à s’arrêter. Sur les 500 supercalculateurs les plus performants de la planète, la Chine en compte désormais 167, faisant d’elle la nation la mieux équipées et la plus performante du monde, devant les États-Unis (165 unités) et le Japon (29 unités). La croissance rapide de la Chine dans cette compétition (en avril 2016 les États-Unis disposaient de 199 unités sur les 500 les plus performants et la Chine seulement 105) lui permet de se poser comme une puissance incontournable en la matière mais également dans la plupart des domaines nécessitant leur utilisation. La quantité des supercalculateurs est en effet aussi important que leur qualité car s’ils permettent de mener des calculs extrêmement complexes, leur domaine d’application n’est pas flexible. Chacun tend à se spécialiser dans une tâche, en fonction à la fois de son architecture mais surtout du software qui y est implémenté. Il est ici important de souligner que la sensibilité des domaines auxquels ils sont affectés ne permet pas toujours de connaître leur finalité d’utilisation. Pour le TaihuLight, par exemple, certaines sources avancent qu’il serait utilisé entièrement pour la modélisation du système terrestre, les prévisions climatiques et météorologiques, et l’analyse de données massives.
D’autres supercalculateurs chinois trouvent également des finalités dans la recherche astronomique et l’exploration spatiale. En 2015, l’agence officielle Xinhua annonçait que le radiotélescope chinois le plus large du monde, installé dans la province de Guizhou, dans le sud du pays, serait relié à un superordinateur d’une capacité de 1 PFLOPS, le Sky-Eye 1. Construit spécialement pour le traitement des données radioélectriques transmise par les astres, ce superordinateur devrait se focaliser sur l’étude de la matière noire. Dernièrement, le Tianhe-2 a initié avec succès le déploiement d’un prototype d’environnement d’exécution (logiciel spécifique à la réalisation de tâches prédéfinies) pour calculer l’immense masse de données récoltés par le SKA (Square Kilometer Array) le champ de radiotélescopes le plus vaste du monde situé en Australie et en Afrique du Sud et qui devrait rentrer en fonction en 2018.
Quelques années auparavant, le Tianhe-2 était également mis à contribution dans le domaine de la génomique et le séquençage des branches ADN. Ce domaine nécessite en effet de nombreuses opérations et une capacité de calcul très élevée pour pouvoir déconstruire et reconstruire le génome. Son prédécesseur, Tianhe-1 était, quant à lui, « soupçonné » d’être mis à contribution dans la finance haute-fréquence.
Il existe ainsi de nombreux champs de recherches dont certains, aussi bien militaires que civils, revêtent une sensibilité particulière, notamment dans le nucléaire, ou la conquête spatiale. C’est donc un enjeu d’importance stratégique pour Pékin qui y investit massivement depuis de nombreuses années afin de gagner en autonomie et en indépendance.
En effet, le cyber-espionnage est devenue une réalité palpable pour de nombreux pays. La Chine y est d’autant plus attentive que la compétition sino-américaine s’intensifie de jour en jour sur fond de changement du statu quo international. La recherche sur les semi-conducteurs et les processeurs est ainsi devenue une priorité pour la République Populaire depuis plusieurs années. La production scientifique étant également une composante incontournable de la puissance, en particulier du soft power, en termes de dépôt de brevets, de publication d’articles ou d’influence scientifique, il apparaît inévitable que l’Empire du Milieu cherche à renouer avec son histoire de grande nation innovante.
Par Romain Perroud